Avant-première // LORELEI

couverture lorelei

LORELEI a accepté de répondre à nos questions dans le cadre de la sortie en avant première du morceau Laissé-e-s pour compte, en exclusivité sur HIWWAT. L’occasion de vous livrer un « article-cocktail » avec interview, un commentaire du groupe sur le morceau et sur leur futur album Cœur d’acier prévu pour le 1er Mars.

LABELS : Kanal Hystérik // Fire And Flames // Guerilla Asso // Maloka  // AIM Section Nancy

LORELEI A PROPOS DE L’ALBUM

Notre album s’appelle ainsi pour plusieurs raisons, déjà on trouvait que ça sonnait bien et l’esthétique des mots, leur éventuelle poésie peut avoir autant d‘importance que leurs sens premiers ; ensuite, c’est une référence directe au nom d’une radio insurrectionnelle née en 1979 à Longwy, en Lorraine, à l’époque où les hauts-fourneaux et les centres sidérurgiques étaient menacés de fermer par un gigantesque plan de licenciement, cette menace avait fait se lever des milliers d’ouvrier-e-s qui pendant des mois ont bloqué l’outil de production, ont vécu la grève, le collectif, l’émeute, cette radio pirate a accompagné ce mouvement, en passant de la musique mais aussi des heures de tranches de vie durant lesquelles les laissé-e-s pour compte du coin venaient témoigner de ce qu’étaient leurs existences, leurs colères, leurs rêves, plus qu’une radio c’était un point de ralliement, si l’initiative de la création de cette radio revient à des militants de la CGT, l’outil est vite devenu celui de tou-te-s les exclu-e-s, 40 ans plus tard, alors que les hauts-fourneaux ont fermé leurs portes et que les ex-sidérurgistes, pour celles et ceux qui vivent encore, sont désœuvré-e-s et souvent encore dans des situations précaires, par le titre de cet album, on tenait à saluer leur ténacité, quelque part, surement trop modestement et de manière futile, à tenter de leur dire que leurs rêves étaient beaux et justes ; enfin, et c’est lié, on a aussi nommé notre album ainsi pour la dualité entre le « cœur », souvent imagé comme quelque chose de chaleureux, émotionnel ou solidaire et « l’acier », souvent pensé comme froid, dur, fini, ce balancement entre les deux nous a parlé et figure bien l’indicible qui se situe entre le désespoir que l’on ressent face aux injustices de tous ordres (sociales, environnementales, économiques, sexistes, racistes…) et l’espoir d’un jour renverser cette montagne de merde dans laquelle on vit ou survit.

Le contenu de l’album est à l’image de ce balancement entre parfois des sensations de noirceurs infinies et d’autres fois la joie de l’instant ou l’espoir qui est parfois « dans la rue ». Les textes sont à prendre comme des ressentis saisis sur des moments, à propos de sujets qui nous prennent aux tripes et dans la lignée du nom de l’album. Musicalement on a essayé de coller avec cet état d’esprit, on a gardé l’idée de tempo assez soutenus car c’est un peu l’essence de ce qui nous relie dans le groupe et on a pas mal travaillé sur les harmonies, l’enrichissement des mélodies et des accords, guitares comme basse, on a même osé mettre un peu plus de chorus que d’habitude, toujours en gardant à l’esprit que la musique est au service de la chanson et du texte.

Toujours en clin d’œil avec le titre de l’album, on a enregistré dans le studio d’un ami, construit à l’emplacement d’une ancienne forge, pour le premier album on avait eu un peu de mal à enregistrer le tout en live et on n’était pas entièrement satisfait de ce que l’on avait fait, du coup on a changé de méthode, on a un peu plus anticipé et on s’est attaché à regarder un peu plus en détail chaque morceau mais aussi la prise de son. Au final on s’est senti bien plus à l’aise au moment d’enregistrer, par rapport au 1er LP, en tout cas, nous on l’entend. Une fois les 8 ziks en boite et mixées on a sollicité des labels qui nous tiennent à cœur et qui ont accepté de participer à l’aventure, que ce soit Kanal Hysterik qu’on fréquente depuis bien 20 ans, Fire & Flames, un label allemand et Maloka qui nous soutiennent depuis le 1er LP, Guérilla Asso ou Alternative-International-Movement, on tient à les remercier, d’autant plus que par les temps qui courent c’est de plus en plus compliqué de sortir quelque chose.

Sur cet album, et à l’image du nom « Cœur d’acier », 2 chansons font référence de manière plus explicite que les autres à la crise industrielle et au déclassement, « Vallée des anges » (c’est le nom d’une vallée lorraine où la plupart des noms de bleds se terminent en « -ange », comme Florange, Hayange, Gandrange etc) et « Laissé-e-s pour compte », qu’on a choisi de vous présenter plus en détail.

TITRE EN AVANT-PREMIERE


Ce morceau est particulier car il n’a pas été écrit de la même manière que la plupart des autres. Il s’agit d’une musique, qu’on avait au départ sans texte, qu’on a bossée une fois en répète, qu’on a enregistrée sur notre vieux MD à l’arrache à 2h du mat, à la fin de la répète pour pas l’oublier, et puis on l’a oubliée quand même. Deux ans plus tard, alors que l’enregistrement approchait, il restait dans les cartons de Cindy – notre chanteuse qui écrit la plupart des textes – quelques mots isolés. Ils collaient parfaitement avec la zik oubliée et retrouvée entre temps, l’alliage s’est fait ultra rapidement. Musicalement Cindy trouve que son chant est moins poussé que sur les autres ziks, mais nous autres on a direct fondu d’émotion en l’entendant, y a un côté mélanco dans la mélodie qui illustre bien, à nos yeux, le sujet de la chanson. On aimait bien le premier riff, plus « cool », et le fait que quand les instrus rentrent, ce soit par un question-réponse de guitare et sur ce riff qui mélange les émotions du morceau, la basse partant sur sa propre mélodie, les guitares prenant un autre chemin, et le chant faisant la synthèse des deux. On s’est permis, à la fin du morceau, un assez « long » (tout est relatif) passage musical qui maintient un peu cette sensation de rage mélancolique.Le texte est un peu une réponse au nom « cœur d’acier », c’est comme si on était 40 ans après la radio pirate, « les promesses d’autrefois et les rêves de grand soir », l’émeute s’est finie, les gens se sont retrouvé-e-s au chômage ou ont été « reclassé-e-s », l’acier est devenue une denrée exotique qu’on fait venir de l’autre bout du monde, et là dans un bar, en Lorraine, les figures d’un monde révolu se croisent, elles et ils ont existé par la lutte il y a 40 ans, désormais c’est l’oubli, le feu ne sort plus des fourneaux mais de l’Amer qui accompagne la bière, même l’enfer est froid et a besoin d’être réchauffé, elles et eux qui n’ont pas vu la mer, ils dérivent pourtant en galère, car en fait ce morceau peut parler de toutes les galères, qu’elles soient sociales ou même amoureuses :

« Tu sens souffler le vent sur ton visage tanné, tu avances dans la nuit jusqu’au bar des damné-e-s
Tu rejoins au comptoir tes camarades rongé-e-s par le noir du charbon, le lot des oublié-e-s.
Le feu de l’amer réchauffe ton enfer, loin de ta terre dérive ta galère.
Les yeux qui brûlent déversent la douleur, le doux murmure, le peuple qui pleure.
Laissé-e-s pour compte.
Accoudé-e-s sur le zinc à parler des ennuis, à refaire le monde jusqu’au bout de la nuit
Dans les brumes de l’alcool s’évaporent les espoirs, les promesses d’autrefois et les rêves de grand soir. »

INTERVIEW

Je n’avais jamais tendu une oreille à votre groupe avant d’avoir entendu parler de votre nouvel album. En lisant cette présentation par vos soins, je me pose une question. Est-ce que « Cœur d’acier » sera un projet politique, avec des revendications et des prises de positions partagées tout au long des morceaux ?

Tout est politique, ce que l’on bouffe ou chie, même l’air que l’on respire finira par être payant et est déjà sous l’influence de choix économiques et donc politiques (Respire les bonnes particules fines et le parfum doux comme un cancer des moteurs diesel).

Des revendications ? Tellement et si peu, on n’a pas l’impression que cet album est un tract avec des revendications précises, la force du témoignage est déjà une forme d’incitation à l’insurrection, alors la musique & les textes tentent de retranscrire des émotions (colère, doute mais aussi amour, espoir), c’est justement aussi le but de mêler ces émotions et des « positions », disons que l’aspect politique est plus perçu de manière empirique, par ce que l’on vit toutes et tous, au quotidien que le fruit de lectures théoriques.

« …ce balancement entre les deux nous a parlé et figure bien l’indicible qui se situe entre le désespoir que l’on ressent face aux injustices de tous ordres (sociales, environnementales, économiques, sexistes, racistes…) et l’espoir d’un jour renverser cette montagne de merde dans laquelle on vit ou survit… » Entre l’optimisme et le pessimisme, où se situe concrètement Lorelei ?

Ça dépend des jours, des moments, et puis ça peut être les deux en même temps. Quand tu te lèves avec une idée de mélodie ou de texte punkrock dans la tête, que tu te ballades dans la rue au printemps avec une odeur de lilas dans les naseaux, tu n’es forcément pas dans le même état d’esprit que quand tu vois un-e pote se faire embarquer brusquement par la police sans raison valable, quand tu vois un bout de prairie se faire raser la tronche pour laisser place à du béton. Disons que quant à la situation du monde, le capitalisme agressif régnant, les inégalités et l’environnement détruit, il est difficile d’être optimiste, mais quand tu es au cœur du concert, de la manif ou même seul-e dans une forêt tu savoures l’instant et c’est déjà quelque part une forme d’optimisme.

A l’écoute des deux morceaux extraits de l’album à venir, j’entends du Diego Pallavas, comme des influences Américaines à la NOFX. Quels sont les groupes qui ont eu une influence directe sur votre identité collective, et comment tout ça se mélange ?

Tu ne te trompes guère, Diego Pallavas, pas vraiment, disons plutôt No Milk (groupe précédent de Bat-Bat le chanteur des Diego, que l’on fait chier depuis une bonne décennie pour qu’il reforme No Milk, d’ailleurs BatBat, si tu nous lis…) qu’on écoutait quand on était ados et qu’on écoute encore, No Milk avait pour influence les $heriff, groupe qu’on écoute sans discontinuer depuis plus de 20 ans. Mais aussi les Zab pour une partie du groupe. NOFX ce sont surtout les gratteux qui sont tombés dedans au siècle dernier et y sont restés.

Autres influences directes ou indirectes : HeyokaToxic Waste, La Fraction, Cria Cuervos, Kochise, Molodoï, Nocif, Les Molards ou Jeunesse Apatride, mais on écoute et on est aussi influencés par des choses très différentes du punkrock comme Hubert Félix Thiéfaine, Edith Piaf, Blondie, Les frères Misère. Ou encore des groupes de Psycho, de Oi! et même Reggae ou Jazz.

Après l’influence, le mélange, ça se fait un peu tout seul, tu ne te dis pas « ah tiens faisons un morceau comme les $hériff », déjà car c’est impossible, et ensuite car t’as toujours un peu l’impression de faire du neuf.

Est-ce que le processus d’écriture a été le même que pour « déferlantes », votre premier album ? N’a-t-il pas été finalement plus difficile d’écrire et de partager sa vision du monde, avec un flou général et le non-sens qui rythme notre quotidien, mais qui finalement, semble de plus en plus « normal » ? J’ai l’impression que toutes les actions, faits et gestes sont minimisés. Que même les choses les plus graves ne choquent plus personne. Comment réussir malgré cela, à engendrer une attention particulière au texte chez l’auditeur?

Le processus d’écriture, de manière générale n’est pas forcément pensé en fonction de l’attention de l’auditeur, déjà quand t’écris une chanson, tu la fabriques pour qu’elle te plaise, qu’elle plaise aux autres membres du groupe. Après tu te dis que si ça te procure des émotions, ça fera peut-être pareil à d’autres. Et encore, on a toujours du mal à croire que des gens vont être sensibles à nos chansons, mais alors tant mieux.

Par rapport à « Déferlantes » on a prêté attention peut-être davantage aux mélodies, aux accords, aux structures. Mais comme pour « Déferlantes » on continue d’écrire de manière collective, même si chacun a des idées (de textes, mélodies, riffs).

Sur le « non-sens qui rythme nos quotidiens » dont tu parles, on n’a pas l’impression qu’il devient « de plus en plus normal », peut-être que les gens intériorisent beaucoup, ou se défoulent sur des réseaux sociaux plutôt que contre des cibles réelles, parfois les colères se canalisent autour d’idées pourries (certain-e-s cherchent du sens dans des délires identitaires ou néolibéraux), parfois la rage ne sort jamais et créé de la frustration et peut-être même du stress et de la maladie. Mais un jour ça va péter tout ça.

Avec quels groupes vous sentez vous proches, dans votre démarche artistique, et avec qui risque t’on de vous retrouver sur la route, quand tout cela sera rendu possible ?

Proches comme des potes de chez nous, il y a GKY (Go Khla Yeh), Urban Spleen, Phobos, Doomsisters et bien sur Streets of Rage ou Les Zeror, deux groupes dans lesquels jouent certains de Loreleï.

Sinon on a déjà joué plusieurs fois avec un groupe qui prend bien aux tripes : Zone Infinie. On avait bien accroché aussi avec Psycho Squat, et tant d’autres…

On a bien hâte de pouvoir reprendre les concerts pour faire de nouvelles rencontres.

Merci à toi et à Hiwwat du soutien que vous portez au groupe, on espère que vous allez aimer le nouveau morceau « Laissé-e-s pour compte » et plus largement l’album à venir.

— Propos recueillis par Arno

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