Témoignages Concerts // Delphine Bucher & Fabien Rivenet

couverture témoignage delphine fabien

Deuxième session de témoignages sur HIWWAT. La parole est à Delphine Bucher de Lyon qui s’occupe du zine Les éditions de la dernière chance et Fabien Rivenet du groupe Talk Show Host de Toronto. Elle et il nous racontent les souvenirs de leur dernier concert avant les quarantaines. 

 

Pardon pour la flemme
Delphine Bucher (Les éditions de la dernière chance)

Lyon. 6 mars 2020. Flemme d’enfer. Comme souvent. Il fait froid, et rien qu’à l’idée de descendre mes quatre étages pour enfourcher mon vélo et traverser la ville, je frémis de désarroi. Me blottir dans mon plaid, enfiler des chaussettes polaires, ouvrir un bouquin. Une lointaine voix, celle de ma conscience, me fait culpabiliser : j’ai rencard avec les copains, et j’ai vraiment envie de voir les groupes à l’affiche. J’hésite. Il faut dire que je voulais absolument voir Maladroit, mais suite à une annulation de dernière minute ils ne seront même pas là. Merde. J’ajoute une ligne dans la colonne des démotivations. Avec les potes, ma réputation n’est plus à faire. Toujours une bonne excuse pour rester au chaud. Pluie. Froid. Fatigue. Livre à finir. Raclette. Zine à boucler. 

L’écran tout fissuré de mon téléphone s’éclaire : “Tu te bouges, je t’attends. Cheese naan”. Il n’en faudra pas plus. Virée à travers Lyon, l’écharpe en haut du nez, le bonnet bien en bas des oreilles, les moufles qui m’empêchent de freiner au feux rouges. Rencard traditionnel de mes week-ends concerts : le cheese naan de la rue des Capucins. Avant de filer à l’Embuscade, sur les pentes de la Croix Rousse. Je n’ai jamais fait de concert là-bas. C’est toujours cool de découvrir des lieux dans sa propre ville, j’ai l’impression d’être en voyage, c’est un peu des mini-vacances gratuites.  

Le lieu est petit, on arrive pile pour le concert de Muscu. A peine le temps de commander ma pinte, de faire quelques bises à droite à gauche, et on se retrouve au premier rang. Des têtes connues, un paquet. Je suis avec mes copains, je suis bien, comme à la maison, avec un peu plus de bruit et beaucoup plus de bière. 

Muscu. Première chanson. Ha oui je me souviens, ces mecs, je les avais rencontrés l’année dernière au salon du disque à Epinal, on avait discuté cinq minutes à mon stand. Leur premier EP s’appelle Courbatures, impossible de faire plus cool que ça. La coolitude du Grand Est, c’est certain. Le batteur jouait dans Flying Donuts, j’étais fan… J’ai des souvenirs de vodka limonade dans une bouteille en plastique, de slam, du Pinky Bar à Nommay, des soirées Mighty Worm dans ma douce Franche-Comté qui me reviennent en tête. 

Je n’arrive pas à mettre mes boules quiès en tenant ma bière trop remplie. J’en prends sur les godasses, comme à chaque fois. 

La première partie passe vite, bien trop vite. Le temps de continuer la tournée des conversations banales de salles de concert. Hé salut quoi de neuf ? ça va toi ? Rebelote de pintes. 

Supermunk commence. Avec Forest Pooky au chant. Ça marche à fond. Les mecs ont l’air cools, ça balance des vannes, c’est méga énergique. Ils passent un coup de fil en direct à Olivier, un des guitaristes de Maladroit. Prendre des nouvelles de Till, qui ne pouvait pas assurer les dates. C’est marrant, tout le monde est malade en ce moment. On ne va quand même pas finir comme en Italie. Bordel, tous les concerts sont annulés depuis quelques jours là-bas, pour une épidémie de je-sais-pas-trop-quoi.

Je suis gonflée à bloc. Pas envie que la soirée se termine. After les gars ? On fait quoi ? 

Les groupes continuent leur route vers Chamonix. Moi je reprends mon biclou direction la Guillotière, à toute berzingue. Un poil éméchée, ravie de cette belle soirée, le cerveau embrumé certes, mais le froid ne pique même plus. 

 — 

Neuvième mois sans concert. Je n’aurai PLUS JAMAIS la flemme. Promis. 

Photo floue de Supermunk par Delphine Tournier / Flowers & Bones.

 

Fabien Rivenet – Bassiste (Talk Show Host)
Photo par Amanda FOTES

 

Quand Arnaud m’a demandé de raconter notre dernier concert, j’ai dit oui sans hésiter mais en fait, cela fait tellement longtemps, que le souvenir est trouble.

Je joue de la basse dans un trio punk rock de Toronto, Talk Show Host. Comme on a passé 2019 à composer et enregistrer notre premier album, nous n’avons quasiment pas fait de concerts. On pensait tourner à fond en 2020 avec pas mal de festivals et une tournée européenne en vue. Haha…

Notre dernier et finalement unique show de 2020 s’annonçait super bien. En ce 22 Février 2020, on rejouait à Sneaky Dee’s, une salle mythique de Toronto où l’on avait joué l’année passée avec Pet Symmetry et où beaucoup de musiciens du coin bossent, bouffent d’excellents nachos et boivent des coups. Le promoteur n’était pas quelqu’un avec qui on avait l’habitude de bosser mais il semblait faire du bon taff et il sortait des cercles punks qui sont de plus en plus petits dans la capitale économique de l’Ontario. Notre précèdent show en Juillet avait fait salle comble. Et on rejouait avec les locaux de Bad Buzz avec qui on a partagé pas mal d’affiches et le duo dance-punk japano-canadian Gaijin Smash. On refuse de plus en plus les « mono affiches » où il y a que des groupes de mecs qui font la même chose. Du coup c’est cool, affiche variée, un samedi soir, pas trop tard, dans une super salle: on est chaud bouillant.

Mais évidemment, la dure réalité des groupes comme le nôtre vient frapper. A peine 15 entrées. La salle est vide. Dans une ville avec plus de 50 shows par soir, plus un mois de février aux températures frigorifiques, c’est difficile de ramener du monde. Gaijin Smash est fun avec une télévision en guise de batteur. Bad Buzz rode leur nouveau line up. Pour nous, le concert se passe bien. On a du fun à jouer de nouveaux morceaux, de voir les gens danser et s’amuser. Le son est cool. Y a même un petit sing along sur « I Hate Men », notre chanson misandre. Bref une bonne et fun répétition en publique. On est assez optimiste dans le groupe et on se dit que c’est un bon échauffement pour ce qui nous attend avec la sortie de l’album.

Et voilà, presqu’un an plus tard, on en est au même point mort. Apres avoir été repoussé d’un an, l’album sort finalement en mai 2021, mais peu ou pas de shows en vue. La plupart des salles de concert ont fermé en Ontario. Refaire des tournées en Europe semblent compromis, car maintenant il y a tous les groupes qui ont annulé leur tours en 2020 qui vont rebooker en 2021 avec encore moins de salles disponibles… donc… 2022 pour nous? 

Les concerts c’est là où j’ai rencontré tous mes amis, et ne plus en faire et ne pas pouvoir en voir est super difficile à vivre. Mais si on joue tous le jeu, on reste chez nous, on porte nos masques quand on va dehors, on pourra tous retourner au plus vite à ce qu’on aime le plus au monde: faire 300 bornes pour jouer 30 min devant 3 personnes.

— Article mis en œuvre par Arno