Rencontre // JODIE FASTER

Rencontre avec le groupe de Lille JODIE FASTER. Nous revenons avec eux sur chaque morceaux présents sur leur dernier album sorti en Janvier 2020, une belle occasion d’aller plus loin que la musique et de partager les émotions qu’elle véhicule

jodie faster couverture

#️⃣ 1 / STILL NOT LOVING THE POLICE

Les mots employés restent encore doux. ce morceau dévoile d’emblée une prise de position, et le visage politique de Jodie Faster. Des expériences personnelles ont provoqué l’écriture de ce titre, ou c’est le résultat d’un constat quotidien sur la situation actuelle dans notre pays ? Y’a-t-il des moyens selon toi, d’inciter tout le monde à continuer de se révolter, malgré la peur qu’installent les représentants de ce système ?
CLEM : Les GAV et les contrôles qu’on a subit, l’inefficacité et le mépris auxquels tu peux être confronté quand tu dois leur parler, ce dont on est témoins quand on vit dans des quartiers populaires, la violence gratuite à laquelle on s’expose en manif, on est effectivement vaccinés contre les keufs. Si ça ne suffisait pas, il y a les noms des mutilés, des morts : Adama, Steve, Selom, Matisse, Zineb, Zyad, Bouna, Rémi…

MIKA : Bien que n’étant pas spécialement un ado difficile ou un délinquant, très jeune j’ai été vite confronté aux mépris et aux abus que l’uniforme peut procurer à la personne qui le porte. Aujourd’hui je vais avoir 42 ans et je vis encore (certes peut-être à moindre mesure) ça dans mon quotidien, et pourtant je fais parti des privilégiés et j’en ai bien conscience. Des expériences personnelles je(on) pourrais t’en raconter plein…

#️⃣ 2 / JDS

Fuck’this world I’m gonna take care of you
I’m scared I will lose you, pissed off I don’t get why
No matter what I try you’re still crying around”

Le morceau parle de la dépression, et termine avec ces phrases. C’est malheureusement la maladie du siècle… Avec tous les sujets alarmants, les injustices traités dans vos morceaux, il me semble qu’il est assez facile, pour les personnes dotées d’empathie et soucieuses du monde qui les entoure, de tomber dans des périodes difficiles. Est-ce que votre activité musicale sert d’un sens à ne pas tomber dans ses ravages ?

 

CLEM : C’est clair qu’on est entourés de gens qui souffrent à des degrés divers, et effectivement leur sensibilité et leur empathie les rendent plus fragiles face aux coups qu’ils subissent. On s’inclut dedans, mais c’est clair que le groupe fait partie des trucs cool dans nos vies, et nous aide à ne pas trop broyer du noir. Ce morceau, c’est aussi pour se rappeler que le remède est collectif, que c’est en s’occupant des autres et en construisant des choses ensemble qu’on ne désespère pas. On s’en rend bien compte en ce moment d’ailleurs, le confinement a le mérite de nous rappeler qu’on est des animaux sociaux.

MIKA : Personnellement si je n’avais pas la musique, et ce groupe en particulier, ça serait très compliqué pour moi. Ça l’est déjà pas mal pour divers raisons. Effectivement si du jour au lendemain je me retrouvais privé de musique, de faire de la musique plus précisément, j’aurais de grosses difficultés à surmonter certaines situations qui sont psychologiquement compliquées à gérer pour moi. J’ai besoin de cet exutoire, d’expulser toute la merde que j’ai en moi. Et ça fait un bien fou.

#️⃣ 3 / PUNK POLICE

Always the same chorus
I’m bored to hear you
You know everything
You saw everything
Think you rock ?
But I know you suck !

Au final, on se retrouve plongé dans une problématique pouvant être rencontrée avec la police, et en période de dépression… Les problèmes d’Ego continuent de sévir dans la « scène » ? Au final, celle-ci s’écarte un peu de son rôle d’exutoire, si on n’y retrouve rien de différent… Ce qu’on fuit au quotidien, peut devenir routine également… Ne vous ai t’il jamais arrivé de vouloir fuir cette scène à son tour ?

 

MIKA : Fuir cette scène ? Quelle scène ? La scène punk ? Non, on n’a pas cherché à la fuir, on préfère éviter la partie de la scène dans laquelle on ne se reconnaît pas, et au contraire se rapprocher de personnes qui essaient d’être constructives.  Pour ce qui est de l’égo, ce n’est que mon avis, mais je pense que toute personne qui monte un groupe et qui se dit « tiens je vais me produire en public et les gens vont venir me voir » a un certain égo, on en a tous un, dire le contraire serait mentir… Bon, ok certaines personnes ont un ego surdimensionné…

Après ce n’est pas le sujet de cette chanson. J’ai commencé à jouer dans des groupes au milieu des années 90, ça va faire donc plus de 25 ans que j’écume les caves, les bars, petit clubs ou squats en France et en Europe. Et j’ai croisé énormément de personnes pour qui tu ne seras jamais assez punk, jamais assez underground, ou jamais assez politisé à leur goût. Ces personnes qui pensent avoir une légitimité plus punk que toi pour des raisons plus débiles qu’obscures… Le terme « Punk Police » vient d’un petit délire avec quelques ami.e.s :  sur des éventuels contrôles de badges et de patchs pendant les concerts.

#️⃣ 4 / MAD MARX STATD

First he was a man with a beard
Then it was a city, but the both are dead
Wir sind mehr, wir sind mehr / Ich Sehe euch Nicht
Wir sind mehr / Ich höre euch nicht!
Wir sind mehr
Ihr seid vielleicht mehr, aber ihr seid weg
Karl Marx is dead twice
There’s nothing left to drink
There’s Nothing left to feel,
Only left the Mad Marx
Karl Marx is dead twice

Je t’avoue être un peu perdu là. Peux tu nous expliquer brièvement de l’histoire évoquée dans le morceau, et cette association choisie : Mad Max/ Karl marx ? Que signifient les mots en allemand ?

 

RIPOLL : Il était une fois, une ville située dans l’ouest de la Saxe en Allemagne  nommée Chemnitz, depuis 1990, et Karl-Marx-Stadt (ville de Karl Marx) du temps de la République Démocratique Allemande. Cette ville, bien que résistante grâce à l’existence de quelques lieux toujours debout, est malgré tout laissée pour compte d’un point de vue contre-culturel, si elle est comparé à d’autres villes du même pays, d’envergure quasi égale.
Depuis le 26 Aout 2018, au lendemain de la mort d’un allemand poignardé par deux accusés présumés étrangers, la cité devient l’épicentre de nombreuses manifestations hostiles face à la politique migratoire du pays. Chasse aux réfugié.e.s et ratonnades dans les rues de la ville lors de la Stadtfest (fête de la ville, qui sera annulée l’année suivante, la mairie craignant la redite de ces faits) ce même 26 aout 2018, manifestations sauvages sur fond de slogans ultra-nationalistes, Marche blanche orchestrée par Pegida (une sorte de « Manif Pour Tous » explicitement nationaliste), le samedi suivant, les 1er septembre 2018. Lors de ce dernier rassemblement, un jeune français, souvent présent dans la ville pour des raisons familiales, participa à la contre-manifestation organisée par différents partis de gauche ou d’ultra gauche. Cette dernière comptait dans ses rangs cinq fois moins de personnes que l’appel de Pegida, et quelques rixes éclatèrent, entre certains individus du mouvement clairement présent pour la confrontation physique, et leurs opposant.e.s internationalistes, qui ne seront pas défendu.e.s et cela malheureusement sans surprise, par les forces de l’ordre déployées pour l’occasion.
Le jeune français présent fut violemment (heureusement sans grave conséquence physique) pris à parti par quatre personnes qui n’acceptèrent guère l’ignorance en réponse à leurs menaces. Quelques coups furent échangés en marge de la manifestation, et le jeune « touriste » décida de prendre la fuite après qu’un coup de bouteille en verre lui fut porté à la tète provoquant étourdissement, vertiges , et plaie ouverte. Le type en question regrettait le nombre peu glorieux de contre-manifestants et passa le reste du temps à surveiller les alentours d’un quartier populaire de la ville, conseillant aux gens visés par les ratonnades de se mettre à l’abri.
Cette marche blanche en l’honneur de la victime du meurtre de la nuit du 25 au 26 aout fut annoncé et programmé dés le 26, laissant à l’opposition une semaine entière pour s’organiser. Le 3 septembre 2018 fut organisé par des membres de Kraftklub,un groupe local très populaire,  sous le slogan « Wir Sind Mehr »et en opposition aux actes précédemment cités, un concert d’envergure impressionnante, regroupant d’autres groupes allemands très populaires comme Feine Sahne Fischfilet ou encore Die Toten Hosen. L’événement rameuta entre 65000 et 70000 participants, et le type de passage se demanda comment fut-il possible, que toutes ces personnes se mobilisent en provenance de toute l’allemagne, un lundi, avec seulement trois jours d’organisation, alors qu’ils eurent une semaine pour se rendre à la contre manifestation du samedi précédent…

Wir Sind Mehr / Nous sommes plus nombreux

Ich Sehe Euch Nicht / Je ne vous vois pas

Ich Höre Euch Nicht / Je ne vous entends pas

Ihr Seid Vielleicht Mehr, Aber Ihr Seid Weg / vous êtes peut-être plus nombreux, mais vous n’êtes pas là

Karl Marx est mort deux fois, physiquement, et de par la morosité de la ville, de cette triste série d’évènements démarrant quasi toujours sous le monument à son effigie placé au centre ville. Le titre est juste un jeu de mot, entre un sentiment ressenti, un blockbuster bien connu et un théoricien d’un ancien temps.

Brièvement, à suivre.

#️⃣ 5 / PUSH THE BUTTON

“Erase the human race from the surface of the earth !
A nuclear war for real equality
The poor will die, he’s quite dead already
The rich will die, and the mighty will too”

On est bien loin de la positivité évoquée précédemment. Est-ce que ces paroles signifient qu’il n’y aurait finalement aucune solution face aux problèmes sociaux, politiques et économiques que nous rencontrons ? Je sais bien que les propos sont exagérés, mais, la chanson a quand même été mise à terme 😉

 

CLEM : Tu veux dire qu’on l’a quand même finie et mise sur le disque? C’est un texte amer et cynique, écrit dans un moment de lassitude. Mais c’est aussi plein d’humour noir, la terreur nucléaire plutôt que de continuer à subir, c’est forcément de la provoc. Des fois t’as juste envie d’envoyer tout le monde se faire foutre.

 

MIKA : Je n’ai pas écrit ce texte (c’est Clém) mais clairement ces mots auraient pu sortir de ma plume, j’ai un côté misanthrope, et je suis convaincu qu’on (les humains) est quand même la pire espèce et la plus nuisible à cette planète.

#️⃣ 6 / DID NOT VOTE

I didn’t vote for you, and no more for the others.
You’re not my president and you’ll never be
You’re breaking one by one all our social achievements
Control the media, full power to violent cops

Qu’est ce que tu aurais à répondre aux personnes contre  l’abstention, remettant sur le devant de la scène le « devoir citoyen » par exemple ?

 

CLEM : Qu’on est vraiment contents pour ceux qui ont fait barrage au second tour, il a une drôle de gueule le front républicain après trois ans de lacrymos, grenades, LBD, drones et hélicos. Encore heureux qu’on ait échappé au régime fascisant et autoritaire. 

L’abstention, on nous la reproche via la rhétorique du pire : la seule alternative au fascisme, c’est la social-démocratie. Sauf que comme le rappelait François Bégaudeau récemment, et jusqu’à preuve du contraire, ce ne sont pas les fascistes qui détruisent notre modèle social depuis 40 ans. Et par ailleurs, on comptera les points antifascistes à la fin, et les moralisateurs engoncés dans leurs certitudes de bourge risquent fort d’être surpris du résultat.

MIKA : Le devoir citoyen… mais ne dit-on pas le droit de vote ? Il y une différence de définition entre devoir (= obligation) et droit (= possibilité de choisir). Et puis on peut faire aussi son devoir citoyen ailleurs que dans un bureau de vote… Dans la rue en manif, ou en aidant les plus démunis, en s’impliquant d’avantage dans des associations, ou tout simplement par moment par la désobéissance civile.

#️⃣ 7 / GLOUCESTER’S FINEST

A gig, a meal, and we’ll sleep on the floor
Winter, Summer, Spring he’s never getting bored
He will offer you shelter
Matt Raybould is the man.
You can ask for a shower

Enfin une chanson rendant hommage aux organisateurs ! Quel est le geste le plus étonnant auquel vous avez eu le droit lors des multiples orga ?

 

CLEM : Dur de choisir une seule anecdote. Le morceau est parti d’un anglais qui m’avait envoyé un t-shirt fait maison, avec « Lille-Gloucester Punk Rock » et deux mains serrées dessus, à l’occasion d’un anniversaire. Mais en vrai, quand tu vois comment les gens se mettent en 4 pour t’accueillir, quelques soient leurs possibilités, alors que tu es un parfait inconnu pour elles/eux, ça fait tellement chaud au cœur. C’est probablement le moment où le punk-rock est au plus proche des idées qu’il défend.

#️⃣ 8 / NO GAIN, JUST PAIN

Play fast, sleep less
Drive long, play loud
Party all night long
It’s our adrenaline
Lose money, make new friends

Y’a t’il vraiment plus à perdre qu’à gagner en étant acteur dans la scène DIY française ? L’aventure est elle un peu masochiste ?

 

MIKA : Alors plus à perdre, non, en fait si tu te lances dans la scène DIY en te disant que tu vas y gagner du fric, tu as tout faux. De mon côté j’ai gagné énormément avec les réseaux DIY, je ne te parle pas d’argent évidemment, mais sur le côté humain, artistique, passionné, j’ai rencontré des gens qui m’ont ouvert à plein de choses, à différents moyens de les aborder. Clairement je ne suis plus le même aujourd’hui qu’il y a quelques années, où je n’avais pas grande expérience de tournées… 

Mais il y a clairement un côté un peu maso à tout cela, tu investis beaucoup de ta poche au début, sans parler de l’investissement personnel. Il y a des dommages à tourner beaucoup avec un groupe, tu vois moins ta famille, tes amis proches, tu passes 20h sur 48h dans un camion pour jouer au total 3 fois 30 minutes dans un week-end, tu rentres en pleine nuit, tu dors 4h et tu vas au boulot lundi… On est rincé par nos vies perso et on s’inflige de la fatigue et du stress en plus avec le groupe… Donc oui on est un peu masochiste. Et on kiffe grave ça !

#️⃣ 9 / THE CHICKEN AND THE GORILLA

The Chicken Mosh will make us laughMotorbike, rower’s like
Gorilla Stomp, act so strong
The band kicks off and starts the madness
Everybody’s showing off their 2 steps

morceau dédié à vos pas de danses absurdes mais désormais incontournables ! Montre nous tes talents de pédagogue, on veut des conseils écrits pour réaliser au mieux ta performance scénique incroyable !

 

CLEM : Alors ça ne s’explique pas, ça se vit. Ce qui compte, c’est de lâcher prise et de s’abandonner à la musique. Le morceau raconte en fait un mélange de soirée au Pit’s à Courtrai et d’un concert de Mental Distress aux Pays-Bas. Ces soirées un peu sauvage où tout le monde vibre à l’unisson et où les corps se libèrent.

MIKA : Ah ah… « performance scénique incroyable » tu y vas fort quand même… Disons qu’on s’amuse, on a rien inventé, tout jeunes on devait regarder les même vidéos de concerts, le punk hardcore est plein de clichés, et a trop souvent un côté « viriliste » qui m’a toujours fort déplu. J’ai toujours été partisan de l’autodérision (mon côté timide, et un manque d’assurance… au moins avec un peu d’humour ça passe mieux…), détourner les danses de coreux en mal de testo ça m’a toujours fais marrer.

#️⃣ 10 / YOUR GODS = OUTTA MY WAY

Kill your kind.
Rape children.
Fool the idiots.
And beat women.
How dare you call it a good moral model ?

Ne penses-tu pas que dans certains cas, les croyances religieuses peuvent servir au bien être d’une personne, et former un besoin essentiel, quand il est difficile de trouver des personnes à qui se rattacher ?

MIKA: Complètement oui, mais ce n’est pas le sujet traité dans cette chanson. Les religions ont depuis toujours avant tout servi les puissants, et opprimé les plus faibles. L’homme a toujours cherché à imposer sa religion aux autres peuples, au nom d’un Dieu il s’est autorisé à tuer et persécuter celles et ceux qui avaient une autre croyance.

#️⃣ 11 / GRAB & GO

So I watch, grab and go
And walk right through the door !
Nevermind the price, look no one in the eye
Just watch, grab and go !

Je tiens à préciser que le prix dans les stations services ont baissé actuellement et quel le vol c’est mal !,… Je t’avoue que cette chanson en hommage à ces stations ne m’inspire pas grandement, qu’est ce qui vous a pris à écrire là-dessus ! ?

 

CLEM : On est d’accord, le vol c’est mal, surtout quand les boîtes comme Total pratiquent l’évasion fiscale, où le vol de matières premières en Afrique. Ou quand Fillon détourne l’argent de son mandat. Ou quand les gouvernements successifs nous arnaquent depuis 40 ans sur les droits qui ont été arrachés de haute lutte à leurs prédécesseurs, au prix du sang. Encore une fois, la pandémie est un bon exemple ici : qui a volé quoi ici ? On ne nous parle plus de combien la Sécu coûte cher, et de la nécessité de réduire les dépenses là, si ? Par contre, ils ont du mal à cacher que c’est de leur faute s’il n’y a ni masques, ni lits en ce moment.

Dans un tel contexte, individuellement, c’est dur de ne pas se sentir dépassé.e et impuissant.e. C’est pour ça qu’on se raconte nos petits gestes d’insoumission, de rébellion, les petites victoires symboliques. Elle mettent du baume au cœur. Et puis franchement, t’as vu le prix des sandwichs sur les aires de repos, c’est pas un foutu scandale ça ?

#️⃣ 12 / BLAME YOURSELF

 « You should blame yourself
You should never blame… Capitalism »

« Changer le monde commence par se changer soi-même », est ce que « blame yourself » illustre à sa façon ces propos ?

 

CLEM : Alors pour le coup, pas du tout. Ce serait même exactement l’inverse. Le morceau parle de la culpabilité que le système fait endosser aux individus : votre santé coûte trop cher, le climat se réchauffe à cause de vos habitudes de consommation, c’est vos enfants qui sont victimes de l’insécurité et vous ne les protégez pas, votre échec social est le reflet de votre investissement dans les études etc. Comme si on avait individuellement la main sur les décisions réellement importantes, comme si nous étions vraiment libres de faire les choix qui s’imposent. Quand on se croit coupable, on ne se demande plus si toutes ces affirmations sont vraies. 

Alors non, on ne commence vraiment pas par se changer soi-même, on va demander des comptes aux vrais responsables. « Changer le monde commence par se changer soi-même », sous le vernis new age/développement personnel, c’est exactement le genre de formule insidieuse que le néo-libéralisme nous matraque à longueur de pubs, de films, de discours politiques, d’actions publiques. C’est pile le réflexe de pensée foireux qu’on critique dans le morceau. Tu cites juste la chute, mais tout le texte est ironique : on met tout sur le dos de l’individu jusqu’à la dernière ligne, où on recadre sur le capitalisme.

#️⃣ 13 / DON’T TAKE IT BAD

 Take a spoon of ignorance and mix it
With all the wrong information we’ve got
Have a seat, a look, a tea, a biscuit
It’s so easy to let the fear goes out
We hate you all !
Don’t take it bad !

« Don’t take it bad » semble être une autre chanson servant à motiver les troupes pour se révolter, et démontrer qu’on n’est pas tout seul à supporter toute cette merde. Quelle est la personne visée dans ce « we hate you all » ? on est d’accord que la personne qui nous sert de président est de loin la seule responsable ?

 

RIPOLL : Ce morceau est depuis son existence associé à celui du dessus, « Blame Yourself », en concert, comme dans l’album. Tu n’es pas le seul à avoir interprété ce dernier à l’inverse de ce qu’on y clame, alors on s’est dit qu’on allait faire un morceau antifa, pour que la masse puisse comprendre. Plus sérieusement, le « we hate you all » vise ces néo-fascistes bien-pensants en costume cravate qui voudrait dédiaboliser le fond de leur pensée en se laissant pousser les tifs et en adaptant leur discours à une classe populaire à qui on a souvent répété de se blâmer elle même. Nous avons à Lille un club privé dans une rue du centre ville qui rassemble ce genre de sophistes. La Citadelle a pignon sur rue et au vu de son statut reste ouverte et totalement légale, malgré les idéologies nauséabondes et les débordements qui lui sont associés. Mais nous ne sommes pas dupes, et malgré notre désir de tolérance, le paradoxe de ce concept nous amène à les haïr toutes et tous.

#️⃣ 14 / BE NICE OR GO TO HELL

I’d like to cut your dick and make you eat it
Think before you act, think before you speak
Shame on you, how do you dare ?
I am ashamed of my scene
you don’t deserve to live

On parle bien ici de machisme.. encore une fois, un parallèle est dressé avec une scène et un mouvement prônant certaines valeurs, qui disparaissent certaines fois à cause d’anecdotes multiples… Quel bilan tires-tu concernant le sexisme dans ce milieu, après y avoir passé de nombreuses années ?

 

MIKA : Oui c’est bien le sujet de ce morceau. Quand j’ai écris ce texte (aussi court soit-il, en même temps sur 40 secondes de musique pas simple de développer un tel thème) il y a malheureusement encore eu fait d’abus sexuel de la part de quelqu’un de la communauté « rock » envers une de ses amies. C’est pour ça que le texte est orienté envers la scène, il a été écrit à chaud. Le bilan que je tire du sexisme dans la scène est le même que celui que l’on peut faire dans la vie de tous les jours, même si la communauté punk se veut et essaie d’être la plus bienveillante possible, le sexisme et des ‘’réflexes’’ patriarcaux sont tellement ancrés dans la société que le chemin est long et c’est loin d’être fini et parfait.

#️⃣ 15 / GRIT YOUR TEETH de Youth Avoiders

Pourquoi avoir choisi ce morceau pour figurer sur votre album ? Quelle relation entretenez-vous avec YOUTH AVOIDERS ?

 

CLEM : Youth Avoiders est un groupe qu’on a beaucoup écouté, avec qui on joue régulièrement. On reprenait ce morceau au début, c’était l’occase de s’excuser de leur avoir piqué leur son de gratte. Bisous les potes !

#️⃣ 16 / WE ALL BLEED RED

Under the black flag, we all bleed red !
Under the Black flag, I refuse to run !
Oppression will fall appart !

We all bleed red évoque la violence qui jailli des deux camps : ceux qui protestent, et ceux qui appliquent les ordres donnés par l’Etat… Penses tu que les réunions pacifistes peuvent faire renverser le monde dans lequel nous vivons, ou que la violence est obligatoire pour se faire entendre ?

 

MIKA : La violence des deux camps ? Qu’est-ce qui est le plus violent : quelques vitrines qui volent en éclat ou la violence politique que l’on subit des dirigeants arrogants et complètement déconnectés des réalités ? La violence dans les manifs ? Attends… qui a des armures, des casques et des armes ? Qui crève des yeux et noie des fêtards dans la Loire ?

Historiquement ce sont principalement par des actions violentes et massives que des résutats et des avancées sociales ont été obtenus.

#️⃣ 17 / TEMPUS FUGIT

I miss the times of confidence
When we were certain of the way
We’re keeping the pain away with substance
What’s left of all the fun we had ?

Le temps qui passe… La nostalgie… Refuse t-on de grandir chez Jodie faster ? Quel est le secret pour tenir le coup lors des tournées après les décennies qui défilent ? Comment n’être jamais usé ?

CLEM : Le morceau parle de mélancolie, du temps qui passe, mais aussi du côté très vain de tout ce qu’on entreprend dans une vie. Qu’est-ce qui vaut vraiment le coup, dans ce qui nous occupe au quotidien ? Que restera-t-il de nos soucis et de nos joies, de nos espoirs, de la médiocrité des gens qui nous auront blessés en route ? On ne refuse pas de grandir, on essaye de ne pas perdre l’envie de progresser, d’apprendre, de construire, de faire des rencontres. On est plutôt tournés vers ce qui vient que vers ce qui a été.

BONUS 

Tu gères aussi le label Don’t Trust The Hype, peux-tu nous parler de tes dernières sorties ? Comment gères tu la période de confinement pour tes sorties ? 

MIKA : En 2019, j’ai sorti les disques de GUMMO, ED WARNER, VETO, MENTAL DISTRESS, DRAWBACKS. Et sur 2020 les dernières sorties du label sont donc l’album de JODIE FASTER, on vient d’en parler longuement donc je vais pas m’éterniser dessus : il est dispo en vinyl noir ou blanc et c’est une coprod européenne avec pleins de labels cool venus d’Angleterre, Allemagne, Belgique, Suisse, Hongrie, et France. 

Et il y a aussi le premier EP de CHIAROSCURO, qui est un nouveau power trio Lillois jouant un punk froid au top. Le disque aurait dû sortir le 31 mars, mais avec le confinement la release party ainsi que la tournée du groupe ont été annulées… La sortie est donc « reportée ». J’ai pas décidé de fonctionnement particulier pour le confinement, juste je n’envoie pas les disques avant la fin. Acheter des disques n’a rien d’essentiel, et puis évitons de faire galérer les livreurs et facteurs.

 

— Propos recueillis par Arno